08/02/2017
Maître Albert-Rey Mermet va-t-il avoir affaire à la justice ?
Peut-on prétendre à la fois jouir d’une réputation d’honnête homme et verser dans le crime? Au XXIe siècle, cela semble chose impossible et un certain nombre d’hommes du XXe siècle sont en train de l’apprendre à leurs dépens. Longtemps, les puissants et les malins ont pu cacher leurs affaires sournoises et s’acheter une réputation irréprochable, alors qu’ils traitaient avec le crime organisé, les mafias, les malfrats, les malpropres, les véreux. Ils avaient la mainmise sur tout ce qui les concernait de près ou de loin. Ils savaient comment ne pas faire de vagues. Internet et les « lanceurs d’alerte » ont changé la donne. Les puissants appellent populisme cette vague qui se soulève contre leur impunité et leur immoralisme criant. C’est parce qu’ils ont compris qu’elle les écraserait bientôt. Ils en sont terrifiés. Maître Albert-Rey Mermet, avocat suisse de son état, est de ceux-là. Il a cru couler des jours tranquilles, sur les bords du lac léman. Il pensait sans doute qu’on le laisserait dormir en paix sur ses lingots indument amassés. Il avait tout fait pour ne pas faire de remous ! Il avait fait croire à tous qu’il défendait contre vents et marées la veuve et l’orphelin. Ardent défenseur des causes désespérées ; champion de la justice et de la probité ; superbe à la réputation sans tache, comment son noble nom a-t-il pu être mêlé à ceux des pires crapules de la pègre mondiale ? Comment son nom, synonyme de respectabilité pour certains, a-t-il pu se retrouver associé aux Panama Papers et aux « Offshore Leaks » ?. Le monde se serait-il trompé ? Ou est-ce l’homme à l’allure respectable qui aurait trompé son monde ?
Nul n’est en mesure de contester les informations qu’ont révélées les Panama Papers et, quelque temps avant, lesdits « Offshore Leaks ». Pour la bonne et simple raison qu’il s’agit d’éléments factuels et tangibles. En un mot de preuves ; aussi compromettantes soient-elles pour certains qui eurent peut-être été mieux inspirés d’y réfléchir à deux fois avant de frayer avec la pègre. Maître Albert Rey-Mermet a été le conseiller de criminels, c’est chose connue à présent. Derrière l’honorable façade de l’étude genevoise Monfrini–Crettol, dont il faisait partie, ont été dissimulées les manigances les plus graves. Maître Albert Rey-Mermet a fait immatriculer trois sociétés au Panama, Granby Investment S.A., Warwick Advisors Corp., Palmer Estates Inc., dans le seul et unique but de vendre ses conseils aux mafieux du monde entier qui avaient besoin de blanchir leur argent sale, voire de maquiller leurs comptes. Tout cela sous les auspices de la fiduciaire Fabrega, Molino & Mulino au Panama. Celle qui appartenait à José Raul Mulino, dont les liens avec la mafia ont été révélés par les Panama Papers, entre autres. Ainsi notre homme, ancien ministre de la sécurité du Panama, était-il très lié à Cheung Chi-tai, l’un des plus redoutés chefs des triades dont tout le sud-est asiatique connaît les méthodes criminelles. Tant qu’à faire, Maître Albert Rey-Mermet, aurait pu s’en inspirer, son nom aurait peut-être laissé moins de traces sur le net et les révélations sur ses activités douteuses auraient fait moins de vagues en Suisse. Car l’homme jouissait d’une des plus belles réputations, jusqu’en 2013. Depuis lors, il semblerait qu’il ne dorme plus très bien. C’est qu’il tenait à sa réputation. Malheureusement l’argent le tenait. Et bientôt, ce sera la justice.
09:52 Publié dans Actualités, Justice, Rey-Mermet, Valais | Tags : panama papers, rey-mermet | Lien permanent | Commentaires (0)
07/02/2017
La nouvelle vie de Bernard Rappaz
Après ses longues années de prison, le célèbre chanvrier valaisan reprend le cours de son existence. Il a posé son baluchon à Isérables (VS), balcon sur la plaine du Rhône, où il dit prendre de la hauteur à travers la méditation et son engagement pour le Tibet. Rencontre.
Cette mise au point d’abord. Bernard Rappaz raconté par Christian Rappaz. La proximité peut étonner, voire indigner. A tort. On s’explique. Dans un canton où l’on a coutume de dire que tout le monde est plus ou moins cousin, sans doute y a-t-il une lointaine filiation. Un lien que personne n’a pu confirmer cependant. Surtout pas nous. Et pour cause, notre toute première rencontre remonte au mois de mars de cette année. Sur un trottoir de Verbier, en coup de vent. Présentations. Puis brève discussion autour d’un éventuel rendez-vous lorsque la période de probation de l’ex-détenu prendra fin. Alors voilà. Ce jour est arrivé. Par la poste, via une lettre du Service de l’application des peines et mesures du canton du Valais datée du 25 mai. La missive confirme que l’enfant terrible de Saxon est désormais un homme libre et délivré de tout contentieux pénal et judiciaire. Une première depuis quarante-six ans. C’est en effet en 1970 que ses ennuis ont commencé. Trois jours passés à l’ombre à la suite d’une dénonciation de feu ses... parents pour consommation de cannabis. «Je ne leur en ai jamais voulu. Conditionnés par les médias locaux qui martelaient qu’un joint pouvait tuer, ils s’inquiétaient pour ma santé.» Depuis, de condamnation en condamnation, pour viol de la loi sur les stupéfiants et refus de s’acquitter de la taxe militaire, notamment, l’homme a cumulé pas loin de dix ans de réclusion.
«Il y a eu volonté de me détruire»
Fils unique d’une famille bien dotée, le papa de Jonas (38 ans) et Vanessa (18 ans) a tout perdu dans l’aventure. Sa ferme, ses terrains d’agriculteur, sa société Valchanvre et sa fortune, que la justice valaisanne avait estimée à 50 millions de francs le jour où, en 2006, la police a découvert 50 tonnes de chanvre planquées dans la centrale thermique désaffectée de Chavalon, au-dessus de Vouvry. Le coup de grâce selon lui. «Sur les 50 tonnes, la moitié se composait de tisane pour la Coop à 35 francs le kilo et le reste d’huile essentielle qu’on aurait pu extraire, valeur environ 1 million. Soit 1,850 million en tout. La vérité, c’est que la police, les procureurs et les juges se sont associés pour m’affubler d’un portrait de dealer multimillionnaire et ainsi me diaboliser auprès de l’opinion publique. La mise en scène de mon arrestation, qui a mobilisé pas moins de 102 gendarmes alors qu’un simple coup de fil aurait suffi à me faire prendre la direction du poste le plus proche, a fini d’enjoliver le scénario. On a clairement cherché à me détruire», estime le chanvrier, convaincu d’avoir été victime d’un acharnement politico-économique. «Sur une trentaine de procédures, j’ai eu dix-sept fois gain de cause contre la justice valaisanne au Tribunal fédéral. Ces succès m’assuraient une omniprésence médiatique qui agaçait prodigieusement l’establishment», explique le fougueux paysan.
Pour rappel, en novembre 2008, Bernard Rappaz a été condamné à cinq ans et huit mois de prison (peine commuée en six ans et huit mois en 2010) par le Tribunal cantonal pour violation grave de la loi sur les stupéfiants, les législations sur les assurances sociales et les règles de la circulation, blanchiment d’argent et lésions corporelles simples. Il purgera sa peine à partir de 2010, mais bénéficiera d’un régime de semi-détention dès août 2012, avant d’être libéré conditionnellement en février 2014. Un régime de faveur unique qu’il doit sans doute à ses multiples grèves de la faim «et de la soif» ultramédiatisées, qui ont mis les autorités du canton sous haute pression. «Au pénitencier de Crêtelongue, où certains détenus travaillent dans les champs, la direction avait tellement peur que les médias me prennent en photo qu’elle m’a affecté, moi l’agriculteur, à la buanderie, où j’ai aussi appris la couture», s’amuse-t-il aujourd’hui.
Ni haine ni regrets
Ruiné, délibérément mis hors jeu à l’entendre, Bernard Rappaz porte pourtant un regard étonnamment serein sur ses années de taule. «Je n’ai ni haine ni désir de vengeance et encore moins l’envie de passer le restant de mes jours avec un nœud dans la gorge. Je n’en veux à personne», assure le Saxonnain, converti au bouddhisme à l’âge de 13 ans après avoir lu une biographie de Gandhi. «Pour sa philosophie plus que pour son côté religieux.» Une dévotion qui lui a permis de vivre en prison comme un moine au monastère, conte-t-il. «J’avais même perdu la notion du temps.» Ni haine ni regrets. «Je me suis battu pour des causes justes et j’ai accompli ma mission. Je n’ai pas tué, pas volé, juste cultivé une plante dont de plus en plus de pays, Etats-Unis en tête, ne cessent de louer les vertus et les retombées économiques», confie l’auteur de Pionnier, une autobiographie parue aux Editions Favre, en avouant avoir conservé sous congélation du matériel génétique issu de sélections naturelles. «Pour le jour où la Suisse légalisera le cannabis. Dans les huit ans à venir», évalue-t-il.
En attendant, celui qui accuse l’Etat de l’avoir poussé en préretraite, œnologue sans cave «à cause de ma réputation», en fin de droits de chômage, passe ses journées dans son modeste appartement du village d’Isérables, accroché aux contreforts du Valais central. Souvent seul, malgré sa liaison avec Nathalie, une charmante enseignante fribourgeoise résidant à Sion, rencontrée il y a trois ans, «à l’occasion d’un débat sur la peine de mort». «Sans compagnon de cellule durant ma détention, la solitude est devenue un art de vivre pour moi, un confort, presque un besoin», souligne l’ancien prisonnier. Sans job fixe, Bernard Rappaz égrène son quotidien entre prière, méditation, préparation de conférences sur le chanvre pour lesquelles il est sollicité aux quatre coins de l’Europe et son engagement en faveur de Népal Evolution, l’ONG qu’il a récemment créée pour venir en aide aux paysans de ce pays qu’il a découvert en 1985. «Des souvenirs, les seuls en fait qui me faisaient rêver derrière les barreaux.»
Pas prophète en son pays
«Au début, les gens d’Isérables se montraient un peu méfiants. Ils m’ont envoyé le curé. Nous avons bu une bouteille et, depuis, tout va bien. Les Bédjuis (surnom des habitants du lieu) sont bien plus gentils et ouverts que les gens de la plaine», sourit le citoyen le plus connu de la commune. Suspicion, doute, méfiance. Après quarante ans d’un combat qui a parfois lassé une partie de l’opinion – «au plus dur des événements, je n’avais que les médias pour me défendre», se justifie-t-il –, celui qui se décrit comme un mélange d’insoumis et de militant acharné a fini par s’accommoder des réactions qu’il suscite. Mais son destin pouvait-il être différent? Objecteur de conscience de la première heure, premier Valaisan à ériger une éolienne dans sa propriété (1975), puis des capteurs solaires, précurseur de l’agriculture bio, premier cultivateur de chanvre en Suisse, Bernard Rappaz était condamné à la controverse. Certains, comme Pierre-Marcel Favre, perçoivent au contraire derrière le trublion un visionnaire, voire un prophète, en avance sur son époque mais fâché avec les lois de son pays et qui a payé ses idées au prix fort. «Des activités qui ont fini par lui valoir une condamnation typique de prisonnier politique», ira jusqu’à soutenir son éditeur lausannois. Un panel de qualités que d’autres résument en trois mots beaucoup moins affables: «Rappaz? Une grande gueule!»
En bon bouddhiste «détaché de tout ego», l’intéressé préfère en sourire et se réfugier derrière l’une de ses célèbres formules. «Mais pour me la faire fermer, il faudra me couper la tête.»
article original: http://www.illustre.ch/magazine/la-nouvelle-vie-de-bernard-rappaz
13:50 Publié dans Actualités, Valais | Lien permanent | Commentaires (0)